Ender : “On peut être fragile sans pour autant être faible”
Ender est un street artist polyvalent fasciné, entre-autres, par le thème de la fragilité humaine. Le manque, les failles qui caractérisent notre identité jalonnent sa dernière série “Fragile”. Avec son travail délicat et expressif l’artiste nous interroge sur nous-mêmes.
Quel a été votre parcours ? Vous êtes né comme artiste urbain ?
J’ai commencé en faisant du théâtre juste après mon bac, j’ai été comédien pendant plus de 35 ans. J’ai débuté plus tard en tant qu’artiste urbain : mon but à la base était de faire vivre des personnages sur les murs comme je les avais fait vivre sur scène, de les intégrer sur les murs comme au théâtre.
Dans vos œuvres on ne voit presque jamais les yeux de vos personnages, qui sont bandés. Pourquoi ?
Je travaille toujours par thèmes. Les personnages qui ont les yeux bandés font partie de ma série “Fragile”. Donc pour les personnages bandés je me suis inspiré de la phrase “Le regard est le reflet de l’âme” et, souvent, quand l’on rencontre une personne c’est ce que l’on remarque le plus, c’est le détail physique qui montre le plus de notre personnalité. Moi je voulais justement le masquer pour rendre mon travail anonyme et en faisant ainsi, le rendre universel. J’ai voulu que tout le monde puisse se reconnaître dans mes personnages aux yeux bandés.
Les individus que vous représentez marchent sur un fil, il y a un sens de précarité dans cette série et les couleurs que vous utilisez (noir, blanc et rouge) peuvent rappeler aussi des panneaux de signalisation : le stop, l’interdit, un danger derrière le coin…
Ça peut être vu comme ça, ça parle vraiment de notre vie à tous. Cette série je l’ai faite bien avant la pandémie mais elle a parlé autrement aux gens à cause de cette période de crise sanitaire. À la base, je voulais parler de la vie en général. Parfois on a l’air fragile mais on trouve des ressources en nous pour pouvoir aller au-delà de telle situation. Ou alors, au contraire, on peut sembler extrêmement fort mais cacher à l’intérieur de nous une part de fragilité. C’est pour cela qu’il y a toujours de la dualité dans toutes mes œuvres concernant ce thème.
Le mot fragile accompagne beaucoup de vos œuvres de cette série, comme si nous étions un colis difficile à manier, très délicat. Vous croyez qu’être fragile dans la vie peut devenir une force ?
Bien sûr, pour moi la fragilité n’est pas une faiblesse, bien au contraire c’est quelque chose de précieux, comme un vase en cristal. Notre fragilité nous donne une sensibilité supérieure : on peut être fragiles sans pour autant être faibles.
Est-ce que vous essayez de transmettre un message avec votre art ?
Je n’ai pas spécialement envie de véhiculer un message, je parle de nous, de ce que je suis. Ce qui est assez drôle c’est que les gens interprètent complètement différemment mon message. Je crois que l’art c’est d’abord apporter de l’émotion : si mes œuvres arrivent à parler à l’émotion d’une personne, ça veut dire que c’est réussi, c’est cela le message que j’ai envie de transmettre. En outre, intégrer les œuvres sur les murs c’est déjà un message : les murs extérieurs appartiennent aux gens qui se baladent. Ce qui m’intéresse c’est de raconter des choses qui vont vraiment parler aux personnes qui vivent dans ces quartiers et qui habitent avec notre travail au quotidien et pas uniquement aux amateurs de street art qui vont chercher les œuvres mais qui ne vont pas les vivre tous les jours. Il faut donc essayer de raconter quelque chose qui soit le plus possible intégrée au mur et au quartier.
Vous pouvez nous parler davantage de votre série de “puzzle” ? J’ai l’impression que ça aborde le thème de l’identité.
Oui, cette série fait toujours partie du thème “Fragile”. Ça parle de l’identité, des manques qu’on peut ressentir. C’est rare que l’on mette en avant nos manques : on met souvent en avant nos forces, dans notre société on montre toujours des hommes très musclés, très forts, des femmes très belles et dans l’air du temps. Moi j’ai envie de prendre le contre-pieds et d’exposer plutôt des enfants ou des gens qui se présentent aux autres en affirmant : “ils me manquent des choses et j’ai besoin de vous pour m’affirmer, pour grandir, je vous montre mes faiblesses d’abord”.
Par exemple dans l’œuvre où il y a un homme en capuche qui tend la main pour demander une pièce, j’ai voulu faire un jeu de mots car cet individu demande une pièce qui peut être en même temps de l’argent et une pièce de puzzle : il est en quête des choses qui manquent en lui.
Au final les imperfections nous caractérisent et font la personne que l’on est devenue.
Depuis le début, je pense que mon travail est ancré sur les failles, les blessures, les coups qu’on a pris et qui nous forment aussi.
Quels sont vos projets pour le futur ?
Il y a peu j’exposais mon travail à la galerie Le Cabinet d’amateur à Paris, lors de l’exposition collective “Retrouvailles”. J’ai également participé au festival d’art urbain de Grimaud qui débutait le 6 juillet. En outre, mes œuvres seront exposées à la galerie RK Gallery, à Saint Tropez, pendant tout l’été.
Plus d’informations sur l’artiste sur sa page Instagram
Propos recueillis par Violagemma Migliorini
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